Voilà la suite de l’histoire de Christophe, que j’ai commencée à raconter dans mon article précédent (Etre noir et réussir - Partie 1).
Nous avons avons laissé Christophe alors qu’il venait de passer son bac. Il sent la rage grandir en lui, face à l’écart entre le monde de la cité où il a grandi et celui qu’il entrevoit à Paris. Il a réalisé que sa couleur de peau et son nom lui fermaient certaines portes.
Il va maintenant démarrer ses études avant d’entamer sa vie professionnelle, et continuer à chercher sa place.
Partie 2 - Les études et le monde professionnel
J’ai découvert le monde quand j’ai commencé mes études. Enfin j’ai découvert un autre monde.
Je suis arrivé à Paris, à l’université Pierre & Marie Curie dans le cinquième arrondissement. A l’époque, ce qui avait la côte, c’est d’aller en grande école. La fac, ce n’était pas très bien vu, parce que c’était pour devenir prof.
Mais pour moi, c’était mon chemin de sortie, ma voie pour progresser dans la société.
Pourtant, d’entrée de jeu, j’ai été confronté à tous ceux qui étaient là faute mieux. Il y avait ceux qui débarquaient de classe préparatoire parce qu’ils avaient raté les concours des grandes écoles. Je les voyais arriver de Math Sup, et moi à l’époque, je ne savais même pas ce que c’était, Math Sup.
J’ai découvert aussi qu’il y en avait qui étaient là parce qu’ils ne savaient pas quoi faire d’autre dans la vie. Ils étaient assis là, dans les amphis, ils erraient en attendant d’y voir clair, sans pression apparente.
Et à côté, il y avait les étrangers, les immigrés, pour qui l’université était la seule vraie porte de sortie, comme moi.
Ça m’a sorti de ma banlieue. Même si au début je traînais facilement avec des mecs de banlieue, des noirs et des arabes, suivant le réflexe de “qui se ressemble s’assemble”, il y avait aussi de la mixité, et je me suis fait de nouveaux amis.
Une voiture pour sortir
Ce qui m'a permis de commencer à m’intégrer dans ce nouveau monde, c’est que j’ai eu une voiture, parce que mes parents commençaient à avoir plus de moyens.
Rétrospectivement, moi c’est à partir de 35 ans que j’ai commencé à avoir de l’argent, à pouvoir investir pour me construire un patrimoine. Avant ce n’était pas possible, je n’avais pas grand chose sur mon compte en banque. J’ai dû d’abord accumuler de l’argent pour ensuite être capable d’investir.
Mes parents c’est pareil, jusqu'à 50 ans, ils n'avaient pas d’argent. Malgré de très bons diplômes, il leur a fallu 20 ans pour accumuler suffisamment. C’est pour ça qu’on était dans une cité en banlieue. Ensuite ils ont pu acheter la pharmacie et la maison, mais toujours en banlieue. Paris était hors de leur portée.
Quand je suis arrivé à l’université, on commençait juste à faire la bascule, mes parents commençaient à avoir un peu d’argent et à tirer les bénéfices de dizaines d’années de travail.
Ça, ça a permis qu’on ait deux voitures à la maison. Je pouvais en prendre une pour sortir. Mes autres copains de banlieue, eux ils prenaient le bus. Moi je pouvais sortir en soirée, socialiser et rentrer à la maison en voiture, sans avoir à attendre jusqu’à 5h du matin le premier train.
Une autre réalité
C’est en sortant avec mes nouveaux amis que j’ai fait l’expérience de la différence entre nous les banlieusards, et les parisiens.
J’ai découvert ces jeunes qui faisaient des soirées à la maison quand leurs parents n’étaient pas là. Beaucoup avaient des parents divorcés, ou des maisons de campagne. Alors qu’en cité, il n’y a juste pas la place pour faire une soirée chez soi, apparts trop petits, beaucoup de frères et soeurs à la maison. Impossible, c’est dehors que ça se passe.
Je me souviens d’un pote, il avait tout l’appartement de ses parents. Ils avaient un plateau entier, dans le 6e arrondissement, rue du Four. Je n'en croyais pas mes yeux ! Et je me disais “Mais ça existe ça ?” Et à chaque fois, c’était ça qui me choquait, que ça leur semble normal, qu’ils ne se rendent même pas compte de combien pour moi ça ne l’était pas.
J’étais tellement envieux, je trouvais ça injuste. Mes parents me disaient souvent, si les pauvres savaient ce que possèdent les riches, ce serait une révolution. Pour moi, c'était une éruption volcanique interne.
Et à Paris, qu’est-ce que je les voyais faire dans ces soirées, mes nouveaux amis ? Ils fument, ils boivent, ils consomment de la drogue. Et je me dis, “Mais en fait c’est vous qui achetez la drogue que nous on vend ! Et pourquoi vous ne vous faites pas arrêter ?”
Moi je ne buvais pas, je ne fumais pas, je ne prenais pas de drogue. Et je me disais, là c’est encore moins le moment de fumer, parce que s' il y a le moindre problème, c’est moi qui prends. “Ou ja neg’! ” *
* Rappel de la partie 1, où Christophe s’entend dire régulièrement par sa mère en créole “Tu es déjà un nègre”, fais attention à ce que tu fais.
Et pourtant c’est à moi qu’on demandait régulièrement : « Est-ce que tu as… » J’étais tagué comme le noir qui vient de banlieue et qui allait pouvoir fournir les mecs. C’est un truc qui m’énervait. Genre je suis le dealer quoi!
Dans une soirée une fois, un des mecs avait tellement bu qu’il s’était fait sur lui. Il avait disparu pendant 2 ou 3 heures, il s'était enfermé dans les toilettes. On a dû démonter la serrure pour le sortir de là et le nettoyer.
J’ai repensé aux mecs qui étaient tombés dans l'héroïne dans ma cité en banlieue. Le choc, c’était de réaliser qu’il se passe la même chose à Paris, mais là ça se passe à l’intérieur des murs, et ça se voit moins.
Et le sentiment d’injustice que je ressentais, c’était de voir que les conséquences sur la vie de ces jeunes n’étaient pas les mêmes non plus.
Christophe sort avec des filles
Au début, je sortais avec des filles, et c’était moi qui les trimbalais partout. Mon père m’a dit un jour: “Tu vas faire le taxi pendant combien de temps ?”
“Non Christophe, tu n’as pas compris. Ce qu’il faut, c’est avoir des amis qui sont plus haut que toi, plus riches que toi, pour que tu puisses comprendre comment ça fonctionne dans leur monde. C’est comme ça que tu pourras ensuite faire partie de leur monde”.
Parce que moi, les copines avec lesquelles je sortais, elles venaient de banlieue, et elles avaient des ambitions limitées. L’une d’entre elles voulait travailler au McDo, elle trouvait que c’était le rêve. Elle m’a dit : “Viens, on fait un enfant, et puis on vit comme ça, on vit des ASSEDIC.”
Moi j’ai dit non.
Les paroles de mon père ont fait leur chemin en moi. Je suis sorti avec une fille de la Fac, dont les parents avaient une énorme baraque à Neuilly, avec un jardin. J’avais jamais vu ça : trois étages, une jaguar, la totale! Son père était un grand grand amateur d’art et d’opéra.
Je suis rentré dans son groupe d’amis. Je connaissais déjà la musique classique grâce à mon père, mais là j’ai appris tout un tas de trucs, tout un tas de codes.
Ses parents étaient divorcés. Sa mère avait un copain qui habitait dans un château, un vrai château à l’ancienne en Normandie. Là, tu vois des gens qui ont de l’argent et du pouvoir !
Le fils, son frère, il avait 17 ou 18 ans. Il allait au lycée à Sainte-Geneviève (lycée privé côté de Versailles). Il ne foutait rien, et passait son temps à jouer à la game boy, et à traîner avec ses potes qui portaient des Weston. Il fumait de l’herbe avec ses copains, mais bien sûr n’avait jamais de problème avec la police.
Moi, j’avais peur des flics, c’était l’époque de Malik Oussekine, on se faisait tout le temps arrêter pour contrôle d’identité.
J'étais très envieux de ma copine en fait. Le comble, c’est que son père lui a acheté un appartement quand on était ensemble. Donc à 24 ans, elle était déjà propriétaire d’un F2 dans les beaux quartiers ! Un autre monde. Elle voulait qu’on s’y installe ensemble.
J’ai vite su que ça n'aurait jamais pu marcher dans la durée entre nous.
Non seulement parce que tous les privilèges qu’elle avait me mettaient en rage, mais aussi parce que je voulais y arriver seul. Je voulais montrer ma propre valeur, sans être “le mari de”, celui qui est vu comme “le profiteur”.
Christophe cherche un stage
A la fin de la maîtrise, je devais faire un stage.
Jusque là, je ne m’étais pas trop bougé. Mais l’horizon de la recherche de boulot se profilait, et je me suis dit qu’il fallait que je m’y mette, parce que bientôt il allait falloir que je trouve un vrai job.
Mon parcours à la fac était moyen. J’ai redoublé ma deuxième année, puis je me suis motivé. Et j’ai fait ma maîtrise à l’Ecole Normale Supérieure de Cachan. C’était une possibilité qu’on avait, et je me suis dit que ce serait bien d’avoir le tampon “Ecole Normale Supérieure” sur mon cv.
Mais j’ai eu beaucoup de mal à trouver un stage. Il y en a plein qui ont trouvé par eux-mêmes. Moi j’ai essayé de postuler directement, mais ça n’a pas marché. J’avais sous estimé l’impact de mon nom de famille, à consonance clairement africaine.
Pour ceux qui ne trouvaient pas, l’école avait des accords avec des entreprises qui s’engageaient à prendre des stagiaires. Mais là aussi ça buggait. Tous ceux qui avaient des noms à consonance étrangère, arabe ou africains, recevaient une réponse « Nous ne souhaitons pas continuer avec cette personne. » Texto. Celui qui a eu le stage par ce biais avait un nom à consonance bien française, du type Jean-Charles Durand.
Du coup, j’ai fait mon stage en interne, dans un laboratoire de l’école. Un stage très intéressant d’ailleurs.
Mais quelque part, ça venait confirmer ce que mes parents avaient vécu avant moi, et la peur de mettre mon nom de famille sur mon cv.
Ma mère, quand elle a eu son diplôme de Pharmacie, elle a cherché à travailler en officine. On lui disait tout le temps non. Vous êtes antillaise ? Non. Chaque fois qu’elle arrivait pour l’entretien, le poste qui était censé être libre, tout d’un coup il était déjà pris. Ah bon ?
Elle a réussi à être pharmacienne parce qu’elle est rentrée à l’hôpital. C’était des postes qui gagnaient moins qu’en officine, et qui intéressaient moins ceux qui avaient le choix.
Mon père aussi, en tant que vétérinaire, il a dû commencer par faire de la prophylaxie à la campagne, en faisant des remplacements.
Véto, pharmacien, c’est un peu comme une chaire. Ça se transmet de père en fils. Fils de pharmacien, tu peux rentrer dans la pharmacie de ton père. Fils de véto, tu reprends le cabinet de ton père.
Quand tu arrives et que tu n’as rien, tu vas faire des trucs que les autres ne veulent pas faire.
“C’est vous le réparateur de la machine ?”
Vers la fin de mes études, entre recherche de stage et recherche de boulot, un incident m’a marqué, presque autant que quand je me suis fait refouler de boîte de nuit.
Je me rappelle que je m’étais habillé sur mon 31 pour un entretien. J’avais la chemise, le pantalon, les bonnes chaussures, la cravate que j’avais payée cher.
Je marche dans la gare et je passe à la borne SNCF pour prendre des billets. Et là, il y a un gars qui est paniqué, il m’interpelle et me dit : “C’est vous, monsieur le réparateur qui vient pour la machine ? Mon billet ne sort pas!”
J’ai été submergé de rage à l’intérieur de moi.
Je me suis regardé de l’extérieur, 360 degrés et je me suis demandé si je ressemblais vraiment là à un agent de maintenance. À ce moment exact où je pensais que j’avais coché toutes les cases, j’avais fait tout ce qu’il fallait, je m’étais rasé, je m’étais coiffé, je m’étais habillé. J’avais fait des années d’études.
Tout ça pour m’intégrer. Et pourtant le gars me renvoie que je ressemble à un agent de maintenance !
J’avais qu’une envie, c’était de lui en coller une, de lui dire, “mais pauv’ c… tu crois vraiment dans ta tête que je ressemble à un agent de maintenance d’une machine de billetterie ?”
Mais je me suis tu. “Ou ja neg.”
Et dans ma tête, je me suis demandé : Mais qu’est-ce qu’il faut dans ce monde pour m’intégrer ? Qu’est-ce qu’il faut pour avoir le droit d'être normal ? Ne pas être pris pour un dealer, un fauteur de troubles, ou un agent de maintenance ?
Clairement, ma conclusion a été qu’il fallait que je gagne de l’argent.
Pendant pratiquement toutes mes études, j’étais resté avec ma copine de l'époque. Grâce à elle, j’avais pu accéder à d'autres cercles, de pouvoir et de richesse. J’avais constaté qu’il pouvait y avoir des noirs aussi dans ces cercles, mais ces noirs étaient riches.
L’argent atténue les différences de couleur.
Un cv qui a de la gueule
Il était assez clair qu’avec mon master de mécanique, ça n’allait pas être suffisant. Je ne me voyais pas devenir ingénieur ou prof de méca, ça ne me faisait pas rêver.
Je me suis dis qu’il fallait que je fasse autre chose. J’ai déposé un dossier pour une 5e année d’études, et en parallèle j’ai postulé à l’IAE, l’Institut d’Administration des Affaires. C’était un MBA à la Sorbonne, plutôt bien côté en France.
J’ai été pris à l’IAE en cours du soir sur 2 ans.
La première année, je faisais mon DEA* la journée, et le soir, j'étais en cours à la Sorbonne. La seconde année, j’ai fait mon service militaire en parallèle. J'étais lieutenant de réserve la journée, et le soir je terminais mon MBA.
*(Diplôme d’Etudes Avancées, remplacé depuis par le Master 2)
A la fin je commençais à avoir un cv qui avait de la gueule, avec un DEA à Normale Sup et un MBA à la Sorbonne.
“Je veux être ce mec là.”
Chat échaudé craint l’eau froide. A la fin de mes études, j’ai peur de mentionner mon nom et mon adresse dans un CV. Je n’ai pas postulé pas dans une boîte française, j’ai préféré postuler dans des boîtes américaines.
C’est comme ça que je suis rentré dans un grand cabinet de conseil international.
Ils organisaient une présentation dans une école d’ingénieur, comme ça se faisait beaucoup à l’époque, et une copine m’a invité.
Là je vois un mec arriver. C’était un arabe, il était manager. Il sort une montre à gousset de sa poche, et il clique dessus pour avoir l’heure.
Et là je me dis, “Je veux être ce mec là”. S’il y est arrivé, je peux le faire. C’est possible pour un mec comme moi.
J’ai postulé chez eux, et j’ai été pris. Quand j’ai reçu la lettre d’embauche, ça a été le plus beau jour de ma vie.
L’intégration par le travail
Ce job a changé ma vie.
Quand je suis arrivé dans ce cabinet de conseil, ça a été à la fois super dur, super formateur, et un formidable ascenseur social.
J’ai démarré comme analyste, et j’ai dû absorber énormément de choses. J’ai été submergé par la complexité. J’ai dû apprendre en même temps la technique - l’informatique -, un métier, et les codes d’une nouvelle entreprise. Des choses auxquelles mes formations diplômantes ne m’avaient pas vraiment préparé.
Nota : Il s’agissait d’un cabinet de conseil international, qui à cette époque, s’était engagé sur le marché des gros projets informatiques, des projets techniques sur lesquels Christophe allait faire toute sa carrière. Les grades étaient très précis : on démarrait comme analyste, et on pouvait ensuite passer consultant en deux ans, puis manager, puis senior manager, puis partner.
J'étais complexé par le fait que je n’avais pas un diplôme de grande école. Les autres qui arrivaient de banlieue, de Paris ou de la campagne, pouvaient mettre sur la table leur diplôme de Centrale ou de Télécom Paris. Moi j’avais tout le temps l’impression qu’il me manquait quelque chose pour avoir le droit d’être là.
Je regardais ceux qui étaient déjà passés consultants, dont un qui était noir lui aussi, et il avait l’air de tellement maîtriser ce qu’il faisait, j’étais impressionné !
Je rentrais chez moi le soir, j'étais rincé, je pleurais littéralement. Un soir, je dis “Papa, tu sais, c’est dur, les collègues ils sont vraiment bons, ils y arrivent !.Moi, je ne suis pas…”
Je n’ai pas eu le temps de terminer ma phrase que mon père m’a allumé. Il m’a dit “Il n’y a pas de personnes qui soient bonnes ou pas bonnes. C’est du travail, c’est tout ! Le travail c’est plus fort que le talent, et les compétences s’acquièrent. Donc bosse. Tais-toi et bosse. Fake it untill you make it.”
Mon père est fort quand même. Il sait tout sur tout.
L’histoire du (beau)père de Christophe
Celui que Christophe appelle son père, est en fait son beau-père (cf. Partie 1). Il est camerounais et il est né à Ebolowa, dans le village d'Engebagnou, qui veut dire “la grande gueule”. Et Christophe dit qu’effectivement, il a en a une, de grande gueule.
Il était le seul garçon sur 10 enfants, et c’est lui que ses parents ont envoyé à 8 ans vivre en ville chez sa grand-mère pour qu’il puisse faire des études. Il sera admis dans un collège réputé, et fils de paysans de la campagne, se retrouvera en classe avec les riches futures élites de la nation.
Il va être instruit d’une manière militaire, et il obtiendra une bourse pour faire une prépa vétérinaire dans un des meilleurs lycées de France. Il apprendra à être toujours le meilleur, incollable sur la culture française, pour acquérir le respect qu’on ne lui octroie pas par défaut.
Il a transmis à Christophe sa capacité de travail et son exigence, son besoin de reconnaissance.
La métamorphose
Grâce à mon père, je me suis accroché. J’ai bossé, jusqu’à acquérir les compétences.
J’observais les gars qui m’impressionnaient dans leur façon d’être et leur maîtrise des différentes compétences. Et pour trouver ma place, je prenais leurs codes. Dans ma façon de faire, il y avait un peu de Dominique, un peu d’Hervé, un peu de Guillaume, un peu de Laurent…
Je me disais, “si j’arrive à combiner le meilleur de chacun d’entre eux, je serai l’un d’entre eux”. Et c’est comme ça que je me suis construit.
C’était dur, mais en travaillant, je pouvais être reconnu et trouver ma place.
J’ai développé une forme de schizophrénie. Tous les matins, quand j’arrivais au boulot, je faisais « Showtime !». Je mettais mon masque, et je jouais le rôle qu’on attendait de moi.
Ça avait commencé avec l’université déjà, je switchais entre des identités. En banlieue, je me comportais selon les codes de la banlieue. Quand j’étais à Paris, je prenais les codes de Paris.
Au boulot, j’ai appris à me fondre dans le moule. Et le moule m’a accepté !
Pourtant, quand j’enlevais l’habit du parfait consultant, je restais le noir avec toutes les connotations qui vont avec. Je me rappelle avoir appelé pour des appartements qui était dit libres mais qui une fois sur place ne l'étaient plus. Rage et colère, sensation d’ impuissance.
Pour contrecarrer la peur de me faire de nouveau refouler, je passais par des agents à qui je donnais mon salaire en premier, puis mon nom et enfin mon adresse en banlieue, afin d'être sûr qu’il n’y ait pas de problème, et surtout ne pas me déplacer pour rien.
Car j’avais engrammé que même si l’argent atténue les difference, pour beaucoup, je suis et je resterai un noir des banlieues.
La reconnaissance
Ce qui m’a porté pendant ces années, c’est que dans cette entreprise où j’ai travaillé, c’était juste. C’était un peu comme à l’armée.
Tu travaillais, tu savais clairement ce qu’il fallait faire, ce qu’on attendait de toi, tu savais qui était ton général. Et tu savais combien tu allais gagner. C’était clair. C'était fair. C’était fair si tu rentrais dans le jeu.
On pouvait peut-être t'entourlouper une fois. Mais si tu jouais selon les règles du jeu, et que tu trouvais le bon mentor, on t’expliquait comment faire le truc, tu le faisais, et à la fin il y avait zéro raison que tu n’obtiennes pas la reconnaissance.
J’ai commencé à prendre le pli, à trouver ma place, et à progresser dans l’entreprise.
D'année en année j'étais promu, et je gagnais de plus en plus d’argent.
Je me suis épanoui dans ce contexte, et j’ai appris beaucoup de choses. C’était vraiment challengeant. Ce n’était pas fait pour tout le monde, je ne le nie pas. Mais pour moi ça me correspondait parfaitement. Ça rentrait dans mon état d’esprit de compétiteur, accrocheur.
Tout ça fait que j’étais très content, très heureux.
J’ai voyagé dans le monde en costard cravate et en business class. J’avais la carte Amex Gold, et la Carte Air France Frequence plus Platinium.
J’ai travaillé dans onze pays, et j’en ai visité quarante.
Toutes les six semaines, avec ma copine de l’époque, on choisissait un endroit et on allait y passer un week-end. Rome, Bratislava, Tulum au Mexique, Phuket en Thaïlande, etc.
J'étais le gars avec sa montre a gousset ! J’étais Gatsby le Magnifique.
Je pouvais rentrer dans toutes les boîtes, je pouvais sortir avec des filles.
J’étais beau.
Nous laissons Christophe en pleine ascension professionnelle, mais la suite montrera comment son passé le rattrapera, et l’amènera à regarder en face, puis à dépasser ses schémas.