
J’ai proposé à mon ami Christophe d’écrire son histoire. L’histoire, pas si banale, d’un homme noir qui a réussi, et de l’expérience qui se cache derrière l’apparence de normalité.
C'était il y a un peu plus d’un an. J’avais mis en ligne un article sur LinkedIn pour expliquer pourquoi j’avais quitté la société que j’avais créée, Magic Makers.
Dans cet article, j’évoquais pour la première fois publiquement le trauma racial et colonial comme partie intégrante de mon expérience, et comme un des sujets que je voulais dorénavant explorer.
C’était un paragraphe de 4 lignes dans un article de plusieurs pages, qui pouvait passer inaperçu pour la plupart des gens.
Christophe m’a contactée peu de temps après. J’ai compris en discutant avec lui que le simple fait que je nomme cela dans un post LinkedIn, dans un espace dédié au monde professionnel, l’avait beaucoup touché.
Et nous avons entamé une double conversation.
D’un côté, une conversation sur notre vécu de noir.e en France, sur notre identité, et sur la construction de cette identité dans le temps.
De l’autre, sur la prise de parole sur ce sujet. Que dire publiquement ? Qu’est-ce qui est entendable ? Qu’est-ce qui risque d’impacter négativement notre carrière ?
Christophe a tous les signes extérieurs de la réussite. Il a fait de bonnes études, il occupe et a occupé des postes à responsabilité dans des grandes entreprises en France comme à l’étranger, avec un niveau de vie élevé. Il a été partner dans un grand cabinet de conseil. Il est marié, a 3 enfants, et est parfaitement intégré, ici et là-bas.
Mais derrière cette “réussite” sociale se dessine une histoire bien plus compliquée et douloureuse que ce qui est visible à l'œil nu.
Lui-même m’a dit : “ Etre noir dans un milieu professionnel, c’est comme faire une course de 100 m en commençant à courir 20 m derrière la ligne de départ.”
Ce sont ces 20 m là que j’ai voulu rendre visibles par sa parole. Ce sont, pour la plupart, les mots de Christophe (en italique), et les miens parfois pour quelques éléments de contexte.
Cet article est la première partie d’une histoire que j’ai découpé en trois volets, les deux suivants seront publiés dans les semaines qui viennent.
Partie 1 - L’enfance et l’adolescence
La cité, au début c’est l'inconscience
J’ai grandi dans une cité des Hauts de Seine, en banlieue parisienne. La banlieue n’était pas encore comme aujourd'hui, c’était l’époque de Coluche.
Mon monde était circoncis par la cité, le quartier.
On faisait tout à l’intérieur. J’avais très très peu de contact avec l’extérieur. Et pourtant, nous étions sur la ligne de métro 13, directement reliés à Paris.
J’ai vécu le quartier comme un facteur d’intégration. La proportion à l’époque, c’était environ moitié de français de 2e génération, un quart de blancs issus de l’immigration (italien, portugais, …), et un quart d’”arabes” et d’africains.
On fêtait les fêtes juives, musulmanes, maliennes, italiennes. On s’invitait, on était tous ensemble.
C’est plus tard que peu à peu les blancs ont quitté le quartier, et ont été remplacés par des arabes et des noirs, de nouveaux immigrés. Ca a créé ce véritable ghetto. Avant c’était un ghetto social, mais pas un ghetto culturel, les gens étaient peu aisés, mais les différentes cultures se mélangeaient.
A l’époque, je ne subis pas de racisme.
Le racisme pour moi, c’est quand quelqu’un t’attribue une couleur de peau, et en déduit que tu es inférieur à lui.
Là ce n’était pas le cas. On se traitait d’arabe, de noir, de rital… On était les premiers à se traiter entre nous, mais on était tous égaux. On n'avait pas conscience de ce que ça voulait dire. Il n’y avait pas de malveillance.
La première fois que je prends conscience que je suis noir
La première fois que j’ai pris conscience que j’étais noir, ou moche, ou les deux, c’est quand j’avais sept ans. J’étais au ce1, et je vois arriver deux nouvelles, des jumelles, et je les trouve magnifiques. Elles arrivent de Tahiti, et l’une des deux, Ingrid est comme Barbie, blonde aux cheveux long avec des yeux bleus.
Pour mon anniversaire, je vais la voir, et je lui demande d’être mon amoureuse.
Et là elle me dit non.
Je lui dit : d’accord, alors ton deuxième amoureux ?
Et là, elle cite la liste de tous ceux qui sont avant moi. Elle est longue la liste! Elle me dit que je peux être son sixième ou septième amoureux.
Je ne sais pas si c’est la première fois que je m’aperçois que je suis noir, ou si c’est la première fois que je m’aperçois que je suis moche. En tout cas, à partir de ce moment-là, un lien se crée dans ma tête.
J’ai eu l’impression que je n’étais digne d’être aimé, et une part de moi s’est demandé si c’était parce que j’étais noir.
(nota : Christophe n’est pas “moche”, malgré ses allégations. De la même manière, il dit régulièrement qu’il n’est pas intelligent, ce qui est contradictoire avec ses diplômes et sa réussite professionnelle, dans un contexte intellectuellement très exigeant).
La conscience que je suis noir et que ce n’est pas forcément positif grandit en moi progressivement aussi dans mes interactions avec les autres gamins.
A l’époque, les publicités qu’on voyait autour de nous, c’était Banania, Banga, et les biscuits Bamboula. Des publicités avec une imagerie très colonialiste. Je voyais que le noir, c’était celui qui portait le sac de Jane dans Tarzan.
Comme j’ai un nom à consonance africaine, on m’a affublé de surnoms dérivés de ce nom.
Je me suis battu contre tous les gamins du quartier pour qu’on m’appelle Christophe.
Je devais avoir dix ou douze ans, c’était vers la fin du primaire, le début du collège. Je voulais gagner cette histoire de respect, je voulais être Christophe, français, respecté.
Le tri social ne repose pas sur le mérite
Par dessus tout ça, il y a les messages que m’envoyaient mes parents, et toute leur éducation, issue du colonialisme.
Pendant toute mon enfance et mon adolescence, ce que ma mère me dit c’est :
“Ou ja nèg, pa fè sa”*.
*En créole : Tu es déjà un nègre, ne fais pas ça !
C’était sa façon de me protéger, en me disant qu’il ne faut pas que j’aille au devant des problèmes, sinon c’est moi qu’on mettra en prison, parce que je suis déjà noir. Par définition, j'aurais tort, donc mieux vaut me taire et raser les murs.
Et du côté de mon père, ce que je reçois, c’est que les adultes ont toujours raison. L'autorité ne peut se questionner, sinon attention à toi !
Parallèlement mes parents me disent “ Tu dois aller vers le haut”.
Il me disent : “Tu seras ingénieur”. A l’époque je ne sais pas ce que ça veut dire être ingénieur, mais je comprends que c’est important.
A la maison, ils nous font écouter de la musique classique, du jazz. Ils nous emmènent voir des expositions dans les musées, au théâtre aussi. Le dimanche, mon père me fait regarder 7/7, l’émission d’Anne Sinclair, et me demande de lui faire un résumé. Je lui dois un gros crush sur elle, et les femmes “intelligentes” en général, comme beaucoup de monde à l’époque d’ailleurs.
A côté de ça, un tri commence à s’opérer dans les gamins du quartier. Dès la fin du cm2, il n’y a quasiment plus de noirs ou d’arabes, ils sont orientés “ailleurs”. Ils étaient considérés comme des éléments perturbateurs. En fait ce n’était pas vraiment des éléments perturbateurs. C’étaient simplement des enfants qui auraient eu besoin d’aide.
Et mes amis, je les vois qui décrochent peu à peu.
J’avais un pote, Samir, ils étaient 12 dans sa famille, il allait à l’école avec moi. Quand on rentrait à la maison, moi je faisais mes devoirs en une demi-heure et c’était terminé. Lui, il avait plus de difficulté, donc il restait au soutien scolaire. Il avait cette bonne intention là, il voulait s’en sortir. Mais il ne s'en est pas sorti. Il n’y avait pas chez lui ce système soutenant
Quand tu arrives à la maison, que tu as des problèmes pour faire une division et que tes parents ne peuvent pas t’aider, le split, il se fait ce moment-là, d’autant plus qu'après on te renvoie que tu es nul.
Moi je ne m’attribue rien. J’entends parler aujourd’hui de transfuge de classe, que c’est de la réussite personnelle. En fait, ma conviction c’est qu’à 80 % tu n’as rien à attribuer à toi-même, ça t'est donné grâce à ton environnement, à ton écosystème familial, culturel et social..
Rétrospectivement, je me rends compte que même si j’étais dans un milieu qui me tirait vers le bas, mes parents eux m’ont vraiment tiré vers le haut.
Le point de bascule
J’arrive en seconde dans un bon lycée. Jusqu’à la 3e, je n’avais pas besoin de faire grand chose pour avoir de bonnes notes, sans rien faire, j’avais 13 ou 14.
Là ça change tout d’un coup, et je me tape des mauvaises notes. Je pense que je devais être le seul noir de la classe, ou peut-être que nous étions deux, pas plus.
Je me prends un deux en Physique.
Dès la fin du premier trimestre, mon prof écrit une note dans mon carnet “N’a pas le niveau, que fait-il en seconde ? Devra redoubler.” Et il convoque ma mère.
Je me souviens que je n’avais pas révisé pour ce contrôle, j’étais resté avec les potes dans la cité à jouer. Avant ça passait, mais là ça ne passait plus.
Ma mère est pharmacienne, et avant ça elle avait été prof de sciences naturelle, avec un DEA de biologie.
Quand elle arrive, le prof lui parle comme si elle était inculte, illettrée. Ma mère lui fait remarquer qu’elle est pharmacienne, qu’elle comprend ce qu’il lui dit, bref, elle le remet clairement à sa place.
Moi, je me dis, je vais me faire défoncer quand on va arriver à la maison.
Mais quand on est rentrés, ma mère a pleuré.
Elle m’a dit, “C’est inadmissible Christophe, avec tous les efforts que je fais pour vous sortir de là, pour que vous y arriviez, tu ne trouves pas d’autres moyens que de m’humilier et de me ramener un deux à la maison.”
Je sens la déception dans les yeux de mes parents. Je sens le gap qu’il y a entre le fait que je m’amuse tous les jours dans la cité, et que je ne respecte pas le potentiel ou l’attente que mes parents ont pour moi.
Je perçois aussi tout d’un coup que le prof est en train de me mettre sur la touche non seulement parce que je ne suis pas assez bon, mais peut-être aussi de par la manière dont il me perçoit: un noir, avec toutes les connotations qui vont avec.
A l’époque, je ne me rendais pas complètement compte de tout ce que ma mère avait traversé pour être pharmacienne.
L’histoire de la mère de Christophe

La mère de Christophe a une histoire peu banale.
Celle d’une femme métis, guadeloupéenne et vietnamienne, qui a traversé les océans et s’est créé une place grâce à l’éducation et à sa détermination.
Son père, guadeloupéen, était militaire et a participé à la guerre du Vietnam. Il a eu là-bas quatre enfants avec une femme, la grand-mère de Christophe.
Au retrait de l’armée française, il a quitté le Vietnam, laissant cette femme là-bas. La maman de Christophe avait six ans quand elle est arrivée en Guadeloupe avec lui. Elle n’a de souvenirs ni de sa mère, ni du Vietnam.
En Guadeloupe, avec ses frères et soeurs, elle est élevée par sa tante. Son père, charpentier à la campagne, s’est remarié avec une autre femme, et n’est pas en mesure de s’occuper de ces enfants qu’il a ramenés d’ailleurs. Ils sont différents, on les appelle “les chinois”.
Pour décrire les conditions dans lesquelles sa mère a été élevée en Guadeloupe, l’image qui vient à Christophe c’est le film Rue Cases-Nègres. Une enfant douée a l’école, dont la tante fait tout pour qu’elle ne termine pas comme les autres enfants dans les champs de bananes ou sur le marché à les vendre.
Elle obtient une bourse et quitte sa famille, sa culture, son environnement, traverse l'océan pour faire ses études en France. Sa vie change de trajectoire à partir de là.
A Toulouse, elle fait des études de biologie, et elle obtient son DEA. Elle aurait aimé faire médecine, mais elle épouse le futur père de Christophe, et elle devient professeur de biologie.
Ils ont deux enfants, et quand son mari finit ses études, ils vont s’installer au Bénin, dans la famille de son mari. Mais peu de temps après leur arrivée, le père de Christophe meurt d’une crise d’asthme. Christophe a quelques mois à l’époque.
Là-bas, selon la tradition de la famille, la veuve doit épouser le frère cadet du mari décédé.
Sa mère refuse, s'enfuit et retourne en France avec ses deux enfants. Là, déterminée à reconstruire sa vie, elle reprend ses études et s’inscrit en pharmacie, à 34 ans et avec déjà deux jeunes enfants à sa charge.
La mère de Christophe mère deviendra pharmacienne à 38 ans, et finira par posséder sa propre pharmacie 10 ans après, à près de 50 ans.
Entre-temps, elle rencontre son nouveau mari, camerounais, qui la soutient sur ce chemin. C’est lui que Christophe appelle son père tout au long de cet article, parce que c’est lui qui l’a élevé comme son fils, bien que ce ne soit pas son père biologique.
Drogue et violence, Christophe coupe les ponts avec la cité
La convocation par le prof de Physique en seconde, c’est un point de bascule pour moi. À partir de ce moment-là, je décide de couper tous les ponts.
Il y a ces deux événements qui arrivent en même temps : d’un côté, on déménage et on quitte la cité, et de l’autre je redouble ma seconde dans un nouveau lycée
Et là je sors de l’enfance, de l’innocence, et je rentre dans l’adolescence.
Dans la cité, les choses changent aussi.
Jusque là, mon enfance et mon adolescence dans la cité, ça avait été à la fois violent et confortable.
La violence fonctionnait comme un système social.
Entre garçons, il y avait un ranking très clair. Quand un nouveau mec arrivait, tu savais qu’il allait y avoir de la baston entre ce mec là et tous les autres mecs de la bande. C’était nécessaire pour le positionner dans le groupe.
Moi je connaissais exactement mon rang, je savais qui je pouvais battre et qui pouvait me battre.
Mais avec l'adolescence, les choses ont commencé à se dégrader. Avant on pouvait faire des bêtises, chaparder des billes. Mais là ça a commencé à devenir plus sérieux, à aller voler des scooters, des autoradios.
Je n’ai pas vu de drogue chez les gens de mon âge, qui avaient quatorze, quinze ans à l’époque. Mais elle commençait à toucher les plus âgés, les amis de ma sœur, qui avaient six ans de plus que moi. C'était des mecs que j’admirais, un peu les grands frères de la cité, et eux ils sont tombés dedans. Dans cette génération, l’héroïne a fait des ravages. Deux des amis de ma sœur sont morts d’overdose, et trois autres y sont tombés complètement.
Je me souviens avoir vu ces mecs qui étaient mes mini-héros de l'époque devenir physiquement chétifs et perdre leurs moyens, sans que je sois vraiment capable de comprendre ce qui se passait.
Une fois, on jouait au foot entre nous dans la cité, et l’un deux s’est approché et nous a demandé de lui faire une passe. Il avait l’air un peu bizarre, mais on s’est exécutés. Et là il était tellement à côté de la plaque qu’il est tombé dans son élan et s’est cogné la tête par terre avec un grand ‘Poc’. On s’est éparpillés comme des moineaux ! Je nous revois encore, revenir en nous cachant derrière les voitures pour regarder s’il se relevait, s’il y avait du sang ou pas. Il est resté là un bon moment sans que personne ne le touche.
L’autre chose à laquelle j’ai échappé, c’est la violence dans les relations avec les filles. Je crois qu’il y avait beaucoup de filles qui avaient des relations qui n’étaient pas forcément consenties en conscience, mais plutôt vécues comme une nécessité pour appartenir au groupe.
J’ai eu la chance de vivre ma puberté très tard, à seize ans ou à dix-sept ans, quand j’avais déjà quitté la cité.
Mais certains de mes potes ont commencé à avoir des relations, et à participer à des tournantes. C’est comme ça que beaucoup ont fait de la prison.
Avec le déménagement, je commence à quitter ce monde-là
Je retournais quand même de temps en temps à la cité voir les potes, mais la distance entre nous se faisait de plus en plus grande. Je les voyais tomber de plus en plus bas. Ils ont commencé à faire de la plus grande délinquance. Il y en a très peu qui s’en sont sortis. Mon pote Samir ne fait pas partie de ceux-là.
Le grand écart entre les mondes
En plus de ça, comme ma mère nous payait des séjours linguistiques en Angleterre vers cette époque, je rencontre d’autres jeunes, plus aisés. Certains habitaient des appartements à Paris, c’était vraiment un autre monde par rapport à la cité.
Là je commence à comprendre qu’il y a autre chose.
Je leur disais : “Vous ne vous rendez pas compte de la chance que vous avez !” Et ils ne s'en rendaient pas compte, parce que pour eux c’était la normalité.
J’ai commencé à devenir envieux.
Lors de ce voyage en Angleterre, un pote me dit qu’il va faire Sciences-po. Et moi, je dis : « science quoi? » Il me dit, je vais faire une prépa pour faire Sciences-po.
“Tu fais des sciences et de la politique ? C’est quoi le truc je comprends pas.” Je ne savais pas de quoi il parlait.
A l’intérieur de moi, c’est le début de la rage, de la colère par rapport à « on n’a pas les mêmes chances ».
“Passe ton bac”
Les grands frères qui tombent dans la drogue, ma mère qui pleure, mes potes en prison, quelque chose change.
Arrivés dans notre nouveau quartier, je ne me mélange pas du tout. Je n'ai pas d’amis. Je crois que je suis resté deux ans sans parler. Je me focalise complètement sur le travail scolaire, je ne fais que ça.
Cette fois-ci, on est à Montreuil. Ça reste la banlieue, mais maintenant on est dans un pavillon un peu à l'écart, et je l’observe de loin. Je tourne le dos à la cité.
Maintenant Je m’appelle Christophe, je dois respecter ma mère, je dois respecter mon père. Je dois respecter leur travail et il faut que j’aille de l’avant.
L’avant c’est pas la cité, c’est Paris, essayer de devenir ingénieur et de m’’assimiler, de “devenir blanc”.
Mon mutisme pendant cette période, c’est une phase de transition dans laquelle je perds le monde de mon enfance et je rentre dans un nouveau monde, avec une plus grande conscience d’une forme d’injustice.
Pendant ces deux années de première et de terminale, isolé dans mon lycée, isolé dans mon nouveau chez moi, je passe mon bac.
J’ai un bac C, on me dit que je suis l’un des meilleurs.
La rage
Pendant le lycée, mes parents ne m'autorisaient pas à sortir, je ne sortais jamais. J’avais des potes qui avaient des voitures, des scooters, ils sortaient, mais pas moi. Je pouvais juste aller au cinéma de temps en temps l’après-midi, et c’est tout. A 20h, il fallait que je sois à la maison.
A 18 ans, je passe mon permis. Ma mère me dit : “Tu as le bac, prends la voiture. Vas-y amuse toi, tu l’as mérité.” Et j’ai enfin le droit de sortir pour la toute première fois. L’excitation est à son comble : Je sors fêter mon bac, mes 18 ans, mon permis.
On arrive devant la porte de la boîte de nuit. Et là, mes amis rentrent, et pas moi. Je ne comprends pas, je suis étourdi. Je demande pourquoi. On me répond: “C’est comme ça, jeune homme”.
Ça m'a mis une énorme claque. J’ai pris le plus fort coup de poing de ma courte vie ! une violence inouïe. Je voulais hurler, crier, me battre mais je n’en ai rien fait… “ou ja neg’”
Colère, rage, injustice, et impuissance ont commencé à s’engrammer en moi.
Je fais tout bien, mieux que les autres, je passe mon bac, je suis sage et pourtant je suis refoulé! Mes amis n'avaient même pas tous le bac, et encore moins un bac C, mais eux, ils sont rentrés en boîte de nuit.
Et c’est là que j’ai réalisé le privilège d’être blanc.
Par la suite, j’ai fait le test dans plusieurs configuration, en arrivant avec une belle fille blonde d’1m80, avec des amis blancs, et à chaque fois c’est pareil : les autres rentrent, pas moi.
Videurs blancs, videurs noirs, c’est pareil.
Les seules boites ou j’ai pu entrer, ce sont les boites ethniques, et le Queen (boîte gay mythique de Paris)
Dans les boîtes “normales”, j’ai fini par comprendre que si je voulais rentrer, il fallait que j’arrive plus tôt, vers 22h. C’est comme s’il y avait un quota max de noirs autorisés dans une boîte de blancs. Quand le quota est atteint, les noirs ne rentrent plus. Donc si j’arrive vers minuit à la même heure que tout le monde, ça ne marche pas pour moi.
Mais bon, à partir de là, je n’avais plus envie d’aller dans un endroit où je ne suis pas le bienvenu.
J’ai la rage, et elle ne me quittera plus.
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Retrouvez la suite de l’histoire de Christophe dans la Partie 2.
Etre noir et réussir - Partie 2
Cet article est la suite de l’histoire de Christophe, que j’ai commencée à raconter dans mon article précédent (Etre noir et réussir - Partie 1).
MERCI pour cette grande claque. Je suis concernée, consternée et admirative de la netteté et de l’authenticité de ce témoignage. et je suis blanche. En effet je ne savais pas que ce donné de naissance me rendait différente et que c’était déterminant jusqu’à ce que j’arrive en Chine. Mais votre témoignage c’est en France, en tant que Français , mon compatriote . Merci de faire voir ce qui se passe en nous et entre nous à notre insu hors du champ de notre attention. C’est salutaire .
Bonjour Claude, hâte de lire la suite, une petite typo : le Queen (boy gay mythique de Paris) Boite...