C’est comment, se sentir à la maison ?
Une exploration de ce que je ressens quand je rentre chez moi
Les explorations de Claude #10
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Cet été, je suis rentrée à la maison.
Je suis née en Guadeloupe, dans les Antilles françaises. J’ai grandi là-bas, et j’en suis partie à 18 ans pour faire mes études à Paris.
Comme beaucoup de parisiens, j’ai maintenant passé plus de temps à paris que dans mon lieu d’origine.
Aujourd’hui Paris, c’est chez moi. Et pourtant.
Tous les deux ou trois ans, je retourne en Guadeloupe pour quelques semaines de vacances.
Cette année, surement en raison du travail intérieur que je mène depuis maintenant de nombreuses années, j’ai essayé de ressentir pleinement ce que cela me fait d’être là-bas.
Jusqu’à présent, l’histoire que je portais en moi, c’est que c’est je me sens oppressée quand j’y suis.
Je ressens tellement de traumas inconscients dans la manière dont les gens se comportent là-bas que j’ai du mal à me sentir en sécurité. (vous trouverez plus de contexte à ce sujet dans l’article où j’explique que je descends d’une lignée d’esclaves noirs).
J’en suis venue à croire que c’est la raison pour laquelle je ne suis jamais revenue m’installer en Guadeloupe pour y vivre après mes études.
Cet été, lors d’une de mes dernières nuits sur place, j’ai vécu une expérience profonde alors que je méditais allongée dans mon lit.
Je suis la montagne
La Guadeloupe bénéficie d’une configuration particulière. Elle est formée de deux îles principales très différentes. A l’ouest, la Basse-Terre est une île volcanique, qui comme la plupart des îles qui forment l’arc des petites Antilles, est née de la collision de deux plaques tectoniques. Elle a comme épine dorsale une magnifique chaîne de montagne, recouverte d’une végétation luxuriante.
A l’est, la Grande Terre est un plateau calcaire, qui héberge de magnifiques plages de sable blanc et des champs de cannes à sucre qui s’étalent à perte de vue.
Alors que j’étais allongée dans mon lit, à la pointe est de la Grande Terre où nous habitions pour les vacances, c’est à la Basse-Terre que je rêvais, la terre où j’ai grandi.
Quand j’étais jeune, nous vivions au pied de la chaîne de montagne, au début de la bien nommée Route de la Traversée. Cette route traverse l’ile de part en part pour rejoindre la mer Caraïbe de l’autre côté, en passant par le col des Mamelles, une paire de montagnes aussi suggestives que leur nom. C’est une zone magique, qui est depuis longtemps un parc naturel, et qui abrite une des rares forêts primaires de France.
Allongée dans mon lit, j’ai ressenti physiquement le sol riche et dense, couvert de cette végétation tellement vivante, comme un velours sur la terre.
J’ai ressenti la montagne, et le feu en son coeur.
Je sentais l’eau qui coule sur ses pentes dans ses rivières de roche volcanique, et qui nettoie et abreuve la terre.
Lorsque je suis me formée à la méditation de pleine conscience en suivant un programme MBSR il y a quelques années, il y avait une méditation de la montagne. C’est une méditation qui est une invitation a se percevoir comme une montagne, où nos émotions et nos sensations seraient les mouvements de l’air, la pluie et l’agitation de la végétation sur la fine peau du coeur profond de la montagne.
C’est cette sensation que j’ai ressentie, j’étais la montagne, ma montagne, celle sur le flanc de laquelle j’ai grandi.
Mon île est intense
On m’a dit à de nombreuses reprise que je pouvais être quelqu’un d’intense, qui peut montrer de grandes variations d’énergie, aussi bien positive que ”négative”.
Un matin où je me baignais dans l’eau transparente des Salines, un idée m’a traversée.
J’étais assise dans l’eau, face à la Désirade, une île qui au passage ne porte pas vraiment bien son nom. Elle a été baptisée ainsi par Christophe Colomb parce que c’est la première terre qu’ils virent après des mois en mer. Mais c’est une île peu attrayante, sur laquelle on a parqué dans le temps les lépreux dont on ne voulait pas en Guadeloupe.
Dans cet écrin magnifique, éblouie par la lumière du soleil qui se reflétait sur l’eau et sur le sable blanc, j’ai soudain réalisé que mon île est intense par nature. C’est cohérent que je le sois aussi.
En Guadeloupe, il y a des cyclones.
Il y a des tremblements de terre.
Il y a des éruptions volcaniques.
Chacune de ces catastrophes peut vous anéantir en quelques heures, vous ou toutes vos possessions matérielle.
En 2015, quand le cyclone Irma a dévasté l’ile de Saint Martin un peu plus au nord, ma soeur a perdu tous les objets qu’elle possédait, à l’exception du contenu de la valise qu’elle a emportée avec elle lorsqu’elle est allée se mettre à l’abri pour la durée de la tempête.
Quand elle revenue chez elle le lendemain matin, la mer avait emporté tout ce qu’il y avait dans son appartement, arrachant même des murs les meubles de sa cuisine.
En Martinique, notre île soeur, il y un siècle l’éruption de la Montagne Pelée a détruit la ville de Saint Pierre en clin d’oeil. C’était à l’époque la plus grande ville de l’île, et 30 000 personnes on trouvé la mort ce jour-là. Il n’y eut que 3 survivants, les prisonniers sauvés par l’épaisseur des murs de la geôle locale.
Plus récemment, dans les années 90, c’est l’île de Monserrat juste au nord de la Guadeloupe qui a été dévastée par l’éruption de son volcan. Sa capitale a été complètement détruite, ainsi que l’unique aéroport de l’île, laissant un île qui n’est plus que l’ombre d’elle même.
Le volcan est toujours actif, comme on le voit sur la photo que j’ai pu prendre il y a quelques années.
La vie en abondance
Et en même temps, chez moi c’est un lieu magnifique, béni par une abondance naturelle.
Le soleil brille toute l’année.
l’air est chaud et doux.
La terre est riche et fertile.
L’eau coule en abondance du ciel et le long des montagnes.
La végétation est incroyable, les arbres immenses, les fleurs hautes comme l’homme, et les fruits délicieux et nourrissants.
C’est un endroit qui vibre de vie, où les choses poussent aussi vite qu’elles se décomposent, dans un renouvellement perpétuel qui rend tangible combien il est inutile de s’accrocher aux choses matérielles.
Assise dans la véranda chaque jour, je sentais sur ma peau la caresse des alizés, et c’était comme faire l’amour avec l’air.
Chez nous, l’air est tellement humide que la sensation sur la peau est inimitable. C’est comme ça que l’on sait que l’on est arrivé : dès que l’on sort de l’avion, on est enveloppé par l’air chaud et humide, et le corps sait que l’on est à la maison.
Ce que j’ai ramené avec moi
La photo de Monserrat en éruption, je l’ai prise il y a 5 ans quand je suis retournée en Guadeloupe pour enterrer mon père.
C’était la première fois que je voyais l’île de Monserrat depuis la Guadeloupe, grâce à un temps exceptionnellement dégagé. Et la vue était extraordinaire ! En zoomant, je me suis rendue compte qu’on voyait la fumée s’échapper du volcan, et qu’on distinguait les coulées de lave qui ont dévasté l’île.
Cette photo est restée des années mon fond d’écran sur mon iPhone.
Et un jour, je me suis dit qu’il était temps de passer à autre chose, de faire de la place pour du neuf.
Cette année, j’ai fêté mon anniversaire en Guadeloupe, et j’ai choisi comme cadeau à ramener avec moi à Paris cette image de Céline Chat, une artiste installée sur place.
J’y vois cette part de l’île qui est profondément en moi, dans laquelle je me reconnais, avec cette eau qui coule en abondance à travers la montagne, la végétation luxuriante qui pousse, une énergie féminine d’abondance.
Elle est maintenant accrochée dans mon bureau, un souvenir présent de ce que c’est pour moi que de me sentir à la maison.
Et pour vous, c’est comment, c’est où, se sentir à la maison ?