Mon intention est de ne pas en avoir
Ce que j’ai appris en me formant à la facilitation génératrice
Les explorations de Claude #6
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Cette année, je me suis engagée dans une formation certifiante à la facilitation génératrice. C’était à Berlin, avec Christine Wank qui a fondé le Generative Facilitation Institute.
Depuis début septembre, j’y ai passé une semaine tous les 2 mois. C’était une expérience intense, et extrêmement apprenante.
Avec Christine, la formation est expérientielle : en tant que participants, on vit d’abord les processus que l’on pourra faciliter auprès d’un groupe.
Cela fait sens. Le sujet de la facilitation génératrice, c’est de créer l’ouverture nécessaire pour de nouvelles possibilités au niveau collectif. La transformation collective passe forcément par la transformation individuelle. Nous ne sommes pas spectateurs du système, nous sommes le système.
Ce qui est vraiment nouveau ou innovant est quelque chose que l’on a tendance à écarter a priori parce que, justement, ça ne colle pas avec notre vision actuelle de ce qui est réaliste. Pour ouvrir la place à de nouvelles possibilités, nos croyances intérieures doivent bouger, notre vision des choses doit s’élargir.
Voici l'histoire d’une petite chose qui a bougé à l’intérieur de moi, et qui entraîne d’énormes changements dans ma façon d’interagir avec un collectif.
Mais avant de commencer, il est probablement nécessaire de clarifier une chose importante
La facilitation génératrice, c’est quoi ?
Parce que je m’imagine que la plupart des gens qui me lisent se demandent ce que c’est ! C’est une excellente question, à laquelle la réponse ne m’est toujours pas triviale.
Commençons déjà par la facilitation “tout court”.
Selon Wikipedia, la facilitation est le fait de “concevoir et de mettre en œuvre avec succès des réunions et des ateliers dans le contexte d’une organisation”. (traduit de l’anglais, la version française étant beaucoup moins explicite à mon sens)
En résumé, il s’agit de fournir un process qui permet des interactions productives au sein d’un groupe. En somme, être responsable du process qui permet de produire un résultat, mais pas du résultat.
Et “Génératrice” dans tout ça ? Il s'agit, selon le GFI, d ’”embarquer dans un voyage de découverte collective et de transformation”. Littéralement, c’est l’action de se mettre en mouvement pour chercher le chemin à suivre qui permet au chemin de se découvrir, étape par étape.
La première fois que j’ai rencontré ce terme de “Génératrice”, c’était via Otto Scharmer, le créateur de la Théorie U et du Presencing Institute.
Il décrit d’une manière extrêmement impactante les 4 manières possibles d’écouter. Les 3 premières sont facilement reconnaissables à mon sens. Mais la 4e, à savoir l’écoute génératrice, a contribué à repousser les limites de ma compréhension des choses.
le téléchargement, c’est le niveau 0 de l'écoute. On écoute simplement pour vérifier que ce qui se passe correspond à ce à quoi l’on s’attend;
l’écoute factuelle correspond à un niveau d’écoute où l’on s’ouvre aux informations qui viennent infirmer notre perception des choses, et donc sont “nouvelles”. En théorie U, on parle d’ouvrir son esprit.
l’écoute empathique, c’est lorsque l’on va se mettre à la place de l’autre pour voir la réalité par ses yeux, en se connectant émotionnellement à son ressenti. En théorie U, on parle d’ouvrir son cœur.
le saut quantique, c’est quand on passe à l’écoute “génératrice”. Il s’agit là de s’ouvrir à ce qui serait possible, en laissant aller toute idée préconçue de ce qui pourrait se passer quand on lâche le contrôle. En théorie U, on parle d’ouvrir sa volonté.
Si ces concepts vous intéressent, je ne peux que vous conseiller la vidéo d’Otto Scharmer sur le sujet, qui provient du MOOC U Lab qui a déjà formé plus de cent mille personnes dans le monde à la théorie U.
Depuis que j’ai découvert cette notion il y a quelque année, cela a toujours été une question au fond de moi de savoir comment on peut atteindre une écoute génératrice au niveau d’un collectif.
J’ai vécu à de nombreuses reprises cette sensation de faire partie d’un collectif connecté. C'est arrivé souvent avec mon équipe de Magic Makers pendant les 8 années où je l’ai dirigée, grâce à la facilitation pointue de nos séminaires par Kako Dubs et Nathalie Valière. J’ai le souvenir de moments incroyables où clairement on sentait l’âme de Magic Makers flotter autour de nous (son egregore), ce qui nous reliait tous dans nos individualités autour de ce projet.
C'est d’ailleurs une des raisons (mais pas la seule) pour laquelle je me suis inscrite à cette formation, pour explorer comment rendre ce genre d’expérience possible plus largement.
Le pouvoir de l’intention
Ceci est je crois la chose la plus impactante que j’ai comprise cette année.
En tant que dirigeante de Magic Makers, j’avais beaucoup d’intentions. Des intentions sur ce que nous créions avec nos ateliers de code créatif, des intentions sur comment gérer l’entreprise.
Si je suis vraiment honnête, au-delà des intentions, j’avais des attentes. J’attendais des résultats de la manière dont je gérais l’équipe, des résultats pour l’entreprise pour qu’elle soit viable et se développe, et que les enfants puissent apprendre et grandir grâce à nous.
Ce qui se passe quand on a des attentes, c’est que d’une certaine manière on restreint le champ des possibles. Ou plutôt, on restreint le champ de ce que l’on perçoit de la réalité pour retenir ce qui va dans notre sens. Et on peut passer à côté des informations et des possibilités nouvelles.
Quand on a besoin de solutions différentes, parce que la façon dont on procède jusque là ne donne pas les résultats escomptés, on a besoin d'élargir la perspective de ce qui est possible, pour voir plus que ce que l’on perçoit d’habitude.
Ça a été un grand soulagement pour moi de me rendre compte qu’en tant que facilitatrice génératrice, ce que je devais faire c’était tout simplement de lâcher mes attentes sur le résultat des ateliers collectifs que je pouvais animer.
Et en même temps, de réaliser que je dois m’appuyer sur une intention très claire pour le process.
Pendant ma formation, j’ai commencé à accompagner une jeune startup pour organiser une journée d’intelligence collective avec toute l’équipe. J’ai travaillé avec les dirigeantes sur l’intention pour l’entreprise et pour la journée, et échangé avec les collaborateurs pour la préparer au mieux.
Je vous laisse deviner ce qui s’est passé. J’ai commencé à me faire ma propre opinion de ce que pouvaient être les problèmes clés que l’organisation rencontrait. Et quand j’ai commencé à penser le déroulé de la journée, j’ai ressenti qu’il y avait quelque chose qui clochait dans la manière dont je me proposais d’articuler les activités.
Et j’ai mis un peu de temps à prendre conscience de ce qui se jouait pour moi (avec l’aide du feedback de Christine d’ailleurs). J’essayais de faire en sorte que l’équipe traite les sujets importants que j’avais identifiés.
Et j’ai compris que si je voulais que la journée soit une réussite, il fallait que je me focalise plutôt sur comment créer les conditions pour que l’équipe par ses interactions puisse collectivement mettre à jour ce qui les bloquait vraiment.
Parce que même si j’avais potentiellement raison sur ma perception des challenges qu’ils rencontraient, c’est le fait que la vision des problèmes émerge des discussions collectives qui allait leur permettre d’y voir plus clair, et de commencer à discerner par quelles type d’actions ils allaient pouvoir sortir de leur difficulté.
A ce moment-là, mon intention est devenu de ne plus avoir d’intention pour eux.
Ou plutôt, d’avoir pour seule intention de créer le cadre d’échange qui allait leur permettre d’y voir plus clair par eux-même.
Avec cette intention-là claire, c’est devenu très simple de prendre des décisions sur comment organiser la journée, et de faciliter en incarnant cette intention et en créant de la confiance dans le process au sein de l’équipe.
Je reste avec ce paradoxe plein de sens en moi : je dois en même temps lâcher mon intention sur ce qui va se passer, et avoir une intention très claire de la raison pour laquelle je fais les choses.
Bonjour Claude
J'ai lu avec attention ton texte qui m'a interpellée.
A l'occasion, je serai intéressée d'en savoir plus.
J'espère que votre retour s'est bien passé.
Bises
Isabelle
c'est noté. A bientôt.